Ateliers DUCHEMIN

Les ateliers Duchemin, maîtres verriers : une dynastie d’écrivains de lumière

Tout commence au XIXe siècle avec Frédéric Duchemin, peintre à façon sur verre, spécialiste des carnations et drapés. Itinérant, Frédéric se rend dans les ateliers qui réclament ses compétences spécifiques. Son fils Georges s’installe à Paris et travaille pour les ateliers Adam, puis pour Jacques Gruber, considéré comme le maître verrier le plus prolifique de l’École de Nancy. Georges poursuit sa carrière chez Max Ingrand, élève du précédent. À côtoyer de près des artistes de l’Art nouveau et de l’Art déco, il inscrit résolument sa lignée dans la modernité et l’avant-gardisme.

Raymond, fils de Georges, marche sur les pas de son père en travaillant à son tour dans les ateliers de Jacques Gruber. C’est le dernier itinérant de la famille. En effet, Claude, fils de Raymond, à bonne école dans l’atelier Bony où il collabore avec Henri Matisse et Georges Rouault, décide dans les années 1950 d’ouvrir son propre atelier, à Paris. « Jusqu’alors, les Duchemin étaient des marins. Ensuite, ils deviendront des armateurs », résume Gilles Rousvoal en évoquant le tournant décisif qu’a pris son beau-père.

Claude Duchemin, l’inspiré

La guerre a fait bien des dégâts et le premier sédentaire de la maison demeure persuadé que le vitrail est promu à un bel avenir dans les chantiers de reconstruction, tant religieux que civils. La France est un pays de cathédrales et la ville Lumière abrite des édifices et immeubles haussmanniens regorgeant de vitraux. Diplômé de l’École nationale des métiers d’art, digne héritier d’un savoir-faire multiséculaire et profondément ancré vers la modernité, Claude insuffle une nouvelle dimension à l’insaisissable lumière des vitraux.

Pour lui le vitrail est un art vivant, un hymne à la lumière, un dialogue entre Dieu et les hommes, entre artistes et artisans, entre passé et présent. Sans doute aurait-il pu faire sienne cette formule de Marc Chagall : « Pour moi, un vitrail est une partition transparente entre mon cœur et le cœur du monde. » Visionnaire, il rachète à des copropriétés des stocks de verres anciens dédiés à la benne. Cette méthode, certes peu académique, lui permet de restituer les vitraux du Castel Béranger d’Hector Guimard, ou encore de restaurer la rotonde d’entrée du Petit Palais.

Dominique Duchemin, la moderne

Dominique, fille de Claude, rejoint l’atelier en 1976. C’est poussée par Gilles Rousvoal, son mari, célèbre peintre verrier rencontré sur les bancs des Beaux-Arts, qu’elle rejoint son père à l’atelier. L’année 1986 est déterminante. Associés au maître verrier Sylvie Gaudin, Claude et Dominique remportent le Concours international pour la restauration de l’église Saint-Joseph de Pontivy. Dominique est convaincue et succède à son père aux rênes des ateliers Duchemin. Une femme maître verrier ? Rien d’anormal en réalité car, depuis le XIXe siècle, ce métier d’art est largement conjugué au féminin.

LE VITRAIL AU SERVICE DE L’ART CONTEMPORAIN

Commence alors une collaboration longue de vingt ans avec Jean-Michel Alberola, pour la cathédrale de Nevers. L’ADN de l’atelier s’exprime pleinement : des vitraux délibérément modernes dans un écrin médiéval, répondant à ceux réalisés par Claude Viallat ou Gottfried Honegger.

Les collaborations avec des artistes contemporains se succèdent : Robert Morris pour la cathédrale de Maguelone, Geneviève Asse et Olivier Debré pour la collégiale de Lamballe, Aurélie Nemours pour le prieuré de Salagon, Monique Frydman pour le métro de Toulouse, Sarkis pour les abbayes de Saint-Jean du Grais et de Silvacane…

Gilles et Dominique Rousvoal ont deux filles : Marie, qui s’est orientée vers la philosophie et le théâtre, et Charlotte, diplômée de l’École supérieure des arts appliqués Duperré, comme sa mère, qui commence sa carrière comme styliste chez Jean-Charles de Castelbajac et Balenciaga. Les deux sœurs rejoignent finalement l’atelier familial, respectivement en 1997 et 2007, et le dirigent aujourd’hui.

LES MAÎTRES VERRIERS : CRÉATEURS DE BEAU

Fortes de leur héritage et patrimoine familial, elles continuent de perpétuer l’excellence et la créativité dans l’art du vitrail. Elles s’attachent à promouvoir une image « dépoussiérée » des vitraux : « Le vitrail n’est pas aussi rustique ni folklorique qu’on le laisse parfois entendre. Le vitrail n’est pas nécessairement religieux ni onéreux. Il n’est pas une décoration mais un décor car il s’intègre dans l’architecture. Créer un vitrail, c’est créer du beau », résume Marie. Les chantiers qu’elles accomplissent répondent autant à des demandes publiques que privées, profanes que sacrées et allient création, restauration et restitution.

Cet art appliqué est pour Marie une école de patience, de passion, de rigueur et d’humilité. Il faut en effet accepter d’accomplir des techniques traditionnelles créées au XIIIe siècle, demeurées inchangées car elles ont du sens. Du reste, la durée des chantiers nécessite un accord parfait entre les maîtres d’œuvre, architectes, designers, artistes et les différents corps de métiers qui interviennent. C’est un dialogue permanent qui aboutit à une œuvre collective.

Relancé depuis une dizaine d’années par des artistes contemporains, à l’instar de l’ornemaniste Pierre Marie, le vitrail vient rompre une certaine impersonnalité des décors épurés scandinaves ou asiatiques longtemps en vogue. Preuve en sont les dernières réalisations des ateliers Duchemin : le musée Yves Saint-Laurent à Marrakech, la cathédrale arménienne de Paris, le château du Clos-Lucé à Amboise, deux expositions d’Anne et Patrick Poirier au domaine du Muy, la verrière du siège de la Société générale…

« Lire, c’est vivre en pleine lumière », écrit Michel Saint-Denis. Que la lumière et les couleurs continuent d’être conjuguées au futur…